Akhannouch à mi-mandat: emploi, les illusions perdues

Akhannouch à mi-mandat: emploi, les illusions perdues

Le discours d'autosatisfaction du chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, devant les parlementaires, masque une autre réalité. Car si les avancées sociales sont indéniables, leur paternité revendiquée soulève des questions, tandis que sur le plan économique, la croissance modeste et le chômage persistant mettent en lumière les défis structurels que le gouvernement peine à surmonter.

Un constat qui invite à une réflexion plus nuancée sur les réalisations à mi-parcours de cette majorité.

 

Par D. William

Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, vient de présenter, devant les deux Chambres du parlement, son bilan à mimandat. L’on se doutait bien qu’il n’allait pas se tirer une balle dans le pied. Sans surprise donc, son oral devant les députés ressemblait plus à un monologue d’autosatisfaction, agrémenté de propos pour le moins dithyrambiques. Akhannouch résume ainsi les réalisations à mi-mandat : elles «dépassent toutes les prévisions et attentes».

Vraiment ? L’évaluation objective de l’action gouvernementale  impose de faire une analyse sous deux angles : social et économique. Commençons par le volet social, sur lequel le chef du gouvernement s’est longuement épanché durant son discours devant les parlementaires. Et là, on ne peut que souscrire à ses propos, notamment la «révolution sociale inédite» réussie par le Maroc dans le processus de généralisation du chantier de la protection sociale. Ainsi, les 4 millions de familles bénéficiaires du régime Ramed ont été basculés vers le système Assurance maladie obligatoire (AMO), pour un budget supporté par l’Etat de 9,5 Mds de DH.

De plus, 2,4 millions de professionnels non salariés ont été intégrés dans le système AMO, permettant à 6 millions de bénéficiaires et ayant droits de bénéficier de l'AMO de base. De même, rappelle Akhannouch, le gouvernement a travaillé à la mise en place d'un système supplémentaire «AMO Achamil» destiné aux personnes capables de s'acquitter des cotisations et qui n'exercent aucune activité rémunérée ou non. Parallèlement, le chantier de l’aide sociale directe a été déployé. Depuis le lancement de la plateforme d'inscription électronique jusqu'à fin mars 2024, le nombre de bénéficiaires se chiffre à 3,5 millions de familles comptant plus de 12 millions de personnes, dont environ 5 millions d'enfants, 1,4 million de familles n'ayant pas d'enfants éligibles à la prime mensuelle forfaitaire et 1,2 million de bénéficiaires âgés de plus de 60 ans. Ce chantier va coûter à l’Etat 25 Mds de DH en 2024, 26,5 Mds de DH en 2025, et 29 Mds de DH à l'horizon 2026.

En outre, concernant l’aide au logement, 60.561 demandes ont été enregistrées jusqu'au 19 février dernier, dont environ 90% ont été initialement acceptées. Ce programme permettra d'améliorer les conditions de vie d'environ 110.000 familles annuellement, avec une enveloppe financière annuelle de 9,5 Mds de DH pour les cinq prochaines années, fait savoir Akhannouch. On en convient, les réalisations au niveau social sont tangibles. Mais peut-il en revendiquer, seul, la paternité ? Non, à l’évidence. Tous ces chantiers sociaux structurants sont des initiatives royales visionnaires, le Souverain ayant, depuis son accession au Trône, inscrit son règne dans une dynamique de transformation sociale profonde qui place le développement humain et social au cœur de son action. La généralisation de la protection sociale, l’aide sociale directe et l’aide au logement consolident les piliers de l’Etat social et viennent renforcer cet engagement royal sans précédent envers les citoyens marocains les plus vulnérables. Car le développement économique du Royaume ne peut être pleinement bénéfique que s'il est accompagné d'une inclusion sociale et d'une protection des plus démunis.

C’est dire que le gouvernement Akhannouch n’est pas l’architecte de la révolution sociale que connaît le Maroc. Il s’est plutôt attelé à concrétiser la vision royale, en sachant par ailleurs qu’il a poursuivi le travail entamé par le précédent gouvernement sur la généralisation de la protection sociale. Le gouvernement El Otmani lui a également balisé le terrain en ce qui concerne l’aide sociale directe, grâce au travail effectué pour la mise en place du Registre social unifié qui permet le ciblage des populations éligibles. Surtout, il y a un point essentiel qu’il faut mettre en surbrillance : tous ces programmes sociaux impulsés par le Roi et exécutés par le gouvernement sont condamnés à être des réussites car, au plus haut sommet de l’Etat, on ne tolère aucun laxisme ni aucune lenteur dans la concrétisation des chantiers royaux.

Croissance et chômage

Soyons factuels. L’évolution des agrégats économiques est le prisme sous lequel il faut apprécier le bilan de Akhannouch depuis octobre 2021, date à laquelle il a pris les clés du Royaume. Si l’inflation s’achemine globalement vers son niveau normatif, à la faveur, on en convient, des différentes mesures gouvernementales prises pour contenir la hausse des prix, mais également de la politique monétaire initiée par la Banque centrale, certains indicateurs présentent des profils moins reluisants. Nous en avons choisi deux : la croissance et le taux de chômage. Après 1,3% en 2022, la croissance économique devrait se situer autour de 2,9% en 2023; des chiffres très modestes, bien loin des ambitions affichées par le nouveau modèle de développement. Problème : cette croissance est drivée essentiellement par l’agriculture, qui reste largement dépendante des aléas climatiques. Or, les épisodes de sécheresse sont de plus en plus fréquents et sévères, rendant l’agriculture vulnérable aux caprices du temps, alors que le PIB non-agricole, pourtant encouragé par une politique de diversification économique, peine à se raffermir. Conséquemment, cette croissance molle rend la création de nouveaux postes de travail très difficile. Entre 2021 et 2022, l’économie nationale a perdu au total 24.000 postes d’emploi. Le taux de chômage au niveau national s’est ainsi amélioré, passant de 12,3% à 11,8% d’une année à l’autre. Une réelle performance ? Pas vraiment. Plutôt un effet rattrapage après l’hécatombe subie par le Royaume entre 2020 et 2021 où l’économie nationale avait perdu des dizaines de milliers d’emplois.

Entre 2022 et 2023, le taux de chômage s’est aggravé, passant de 11,8% à 13%, avec 157.000 postes d’emploi perdus. Mais que nous avait promis le patron du Rassemblement national des indépendants (RNI) et actuel chef du gouvernement  ? La création d’un million de postes d’emploi net sur le quinquennat, soit 200.000 emplois par an.  Deux ans et demi après sa prise de fonction, il est manifeste que cet objectif est loin d'être atteint. L'écart entre les promesses politiques et la réalité économique est saisissant et jette une lumière crue sur les défis profonds auxquels est confronté le pays. Le chômage persistant reste l'un des problèmes les plus urgents au Maroc, avec des conséquences sociales et économiques dévastatrices. Et malgré les initiatives telles que les programmes Awrach et Forsa, les efforts du gouvernement semblent être bien en deçà de ce qui est nécessaire pour inverser durablement la tendance. L'incapacité à créer des emplois de manière significative témoigne d'une crise structurelle profonde, alimentée par une multitude de facteurs tant internes qu'externes. Ce chômage structurel découle en partie d'un déséquilibre entre l'offre et la demande sur le marché du travail. Les compétences disponibles ne correspondent pas aux besoins réels de l'économie, laissant de nombreux individus marginalisés et exclus du marché de l'emploi.

Comme nous le confiait récemment l’économiste Rachid Achachi, cette réalité nécessite une réforme de l'éducation et de la formation professionnelle, qui ne produira cependant des résultats tangibles que sur le long terme. Cependant, certains défis immédiats ne peuvent être négligés, comme la nécessité de soulager les PME, soumises à une fiscalité oppressante et aux rigidités du marché du travail qui entravent leur croissance et leur capacité à recruter. D’où l’urgence de flexibiliser le marché du travail pour encourager les entreprises à embaucher en réduisant le risque associé à l'emploi à long terme. Résumons donc le bilan du gouvernement à mi-mandat : poursuite de l’exécution des chantiers sociaux initiés… par le Roi, une croissance de 1,3% en 2022 et 2,9% en 2023, un taux de chômage de 13% en 2023 qui affecte particulièrement la jeunesse marocaine. Voilà les réalisations qui «dépassent toutes les prévisions et attentes». Moins de triomphalisme voyons ! 

 

 

 

 

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